Lutte contre le trafic de drogue : une proposition controversée
Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a récemment exprimé une volonté ferme de lutter contre l’argent liquide, qu’il considère comme un vecteur primordial de la fraude et de la délinquance. Lors d’une audition devant le Sénat, il a mis en avant l’idée que l’élimination de l’argent liquide pourrait constituer une solution efficace pour éradiquer le trafic de drogue et d’autres activités criminelles.
Une stratégie discutée
Darmanin affirme que "une grande partie de la fraude et de la délinquance quotidienne est liée à des transactions en espèces", soulignant ainsi le besoin urgent de réexaminer notre rapport à l’argent liquide. Pour lui, se débarrasser de cet instrument de paiement pourrait considérablement nuire à l’établissement de points de deal dans nos quartiers, une tâche qu’il considère essentielle pour la sécurité publique. Mais cette proposition soulève d’importantes questions quant à son efficacité et à ses conséquences.
Les critiques d’un expert
Clotilde Champeyrache, spécialiste de l’économie illicite et maîtresse de conférences au Conservatoire national des arts et métiers, exprime des réserves quant à cette approche. Elle indique que les criminels ont souvent une longueur d’avance et qu’ils pourraient facilement s’adapter à une éventuelle interdiction de l’argent liquide. La logique selon laquelle la suppression de l’argent liquide détruirait les réseaux criminels semble, selon elle, trop simpliste.
Elle rappelle que les groupes organisés trouvent constamment de nouvelles façons de contourner les restrictions légales. Par exemple, ces organisations peuvent facilement migrer vers des systèmes de paiement alternatifs, comme les crypto-monnaies ou d’autres formes de monnaie virtuelle, qui échappent à la régulation étatique. En outre, l’hypothèse selon laquelle les consommateurs de drogue cesseraient automatiquement d’acheter des substances illicites en raison de l’absence de cash est, à son sens, très optimiste.
Les implications sociales
L’abandon de l’argent liquide pourrait aussi avoir des répercussions profondes sur des segments de la population qui dépendent de ces paiements, notamment ceux qui n’ont pas accès à la numérisation bancaire ou qui vivent dans des conditions socio-économiques précaires. Beaucoup de personnes âgées, de précaires ou même de petits commerçants restent attachés au cash. Les appliquer graduellement des mesures de transition, telle que la création de programmes d’éducation financière et d’accès en ligne sécurisé, serait alors essentiel pour éviter une exclusion de ces groupes.
La complexité de la lutte
La problématique de la délinquance est multiforme et ne saurait être résolue par une seule mesure. Les acteurs du crime organisé ont de multiples stratégies qu’ils utilisent pour s’adapter aux changements de législation. Analyste en criminalité, Champeyrache souligne que le travail collectif entre diverses institutions est bien plus crucial que d’implémenter un changement législatif unilatéral.
Elle suggère qu’une approche plus inédite pourrait inclure la police, les services sociaux et les agences de santé mentale pour aborder les racines du problème plutôt que de simplement traiter les symptômes. Une véritable stratégie de prévention impliquerait également la participation des communautés locales dans la prise de décision affectant leur sécurité et leur bien-être.
Conclusion
La proposition de l’abandon de l’argent liquide comme moyen de lutte contre le trafic de drogue peut sembler séduisante à première vue, mais elle soulève d’innombrables questions et nécessiterait un examen minutieux. Les expertises devront tenir compte non seulement de la lutte contre le crime organisé, mais aussi de l’impact social potentiel de telles politiques. La complexité du phénomène criminel et l’évolution continue des pratiques des réseaux criminels condamnent de simples solutions. Une approche plus intégrée et multidisciplinaire semble indispensable pour aborder ce défi profond et systémique.
