Le 23 janvier 2025, le Parlement européen a adopté une résolution d’une grande portée politique, exigeant la libération immédiate de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, arrêté le 16 novembre 2024. L’affaire a suscité une vive réaction parmi les eurodéputés, mais a aussi mis en lumière les tensions internes au sein de l’Union européenne, où la défense des droits humains se heurte aux priorités économiques, notamment dans le domaine énergétique. Tandis que le Parlement européen adopte une position ferme, la Commission européenne, quant à elle, demeure silencieuse.
Une résolution unanime du Parlement européen
Le Parlement européen a adopté une résolution claire et sans ambiguïté, demandant la libération immédiate de Boualem Sansal. Cet écrivain de 75 ans, emprisonné depuis plus de 70 jours, est accusé de « trouble à l’ordre public » et de « port d’armes » en raison de ses prises de position critiques envers le gouvernement algérien. La résolution a été soutenue par tous les groupes politiques, qu’il s’agisse des Partis populaires européens (PPE), des Socialistes et Démocrates (S&D), de Renew, des Verts/ALE, des Conservateurs et Réformistes européens (ECR), des Patriotes, d’Ensemble, ou encore des partis de gauche européenne (The Left).
Ce soutien unanime est significatif, car il témoigne d’une prise de position transpartisane sur un sujet qui touche à la liberté d’expression et à la défense des droits humains.
Le cas Boualem Sansal : un symbole de la répression en Algérie
Les eurodéputés ont mis en avant le caractère injuste de la détention de Boualem Sansal, soulignant que son seul « crime » réside dans sa volonté d’interroger publiquement les réalités de son pays. Le député Christophe Gomart (LR-PPE), qui a négocié la résolution, a résumé la situation en affirmant que l’écrivain est victime d’une répression qui ne tolère pas la dissidence. L’engagement intellectuel de Boualem Sansal, qui cherche à comprendre la situation sociale et politique de l’Algérie et à la partager publiquement, a été perçu comme une menace pour le régime, conduisant à son arrestation.
La Commission européenne entre silence et pragmatisme
Tandis que le Parlement adopte une position ferme et sans ambiguïté, la Commission européenne se distingue par son silence total. Sollicitée par la presse, notamment par Le Point, sur la question de l’application de l’article 2 de l’accord d’association entre l’UE et l’Algérie, qui stipule le respect des droits fondamentaux, la Commission n’a pas réagi. Cet article, considéré comme une « clause essentielle » de l’accord, pourrait théoriquement permettre à l’UE de suspendre partiellement ou totalement l’accord en cas de violations des droits humains avérées. Cependant, la Commission n’a pris aucune mesure, et son silence est interprété par certains comme un abandon de ses responsabilités envers la défense des droits fondamentaux, notamment dans le cas de l’arrestation de Boualem Sansal.
L’inaction de la Commission face à la répression en Algérie
Cette inertie de la Commission européenne s’inscrit dans un contexte plus large de relations tendues entre l’UE et l’Algérie. En effet, l’UE a pris note des violations répétées des droits humains en Algérie ces dernières années, notamment la détention de plus de 200 prisonniers d’opinion et la répression croissante de la presse indépendante. La situation des droits de l’homme se dégrade de manière inquiétante, avec des procès et des sanctions sévères à l’encontre de journalistes et de médias accusés de remettre en question le régime en place. Par ailleurs, la fermeture de 47 églises protestantes en Algérie est un autre exemple de l’intransigeance du pouvoir algérien vis-à-vis de la liberté religieuse.
L’impact économique des relations UE-Algérie
Le cas de Boualem Sansal n’est pas isolé et s’inscrit dans une dynamique plus large de tensions économiques entre l’Union européenne et l’Algérie. En effet, l’Algérie, avec son rôle stratégique en tant que fournisseur de gaz naturel, a renforcé sa position vis-à-vis de l’UE, en particulier après la rupture des relations avec la Russie à la suite de la guerre en Ukraine. Ce nouveau rôle de l’Algérie sur le marché de l’énergie semble avoir donné à son régime une forme d’impunité vis-à-vis des critiques européennes concernant les droits humains.
Une révision de l’accord d’association UE-Algérie
Cette dynamique a conduit le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, à réclamer en octobre 2024 une révision complète de l’accord d’association entre l’UE et l’Algérie, en vigueur depuis 2005. Il considère que l’accord n’est plus équilibré et qu’il doit désormais être réajusté pour mieux protéger l’industrie locale algérienne. Cette demande de révision survient dans un contexte où l’Algérie a adopté des mesures protectionnistes, entravant l’accès des entreprises européennes au marché algérien, et ce, avant même la fin de la période de transition prévue pour 2025. Ces mesures incluent des quotas locaux imposés aux constructeurs automobiles, des restrictions sur l’importation de marbre et de céramique, et d’autres barrières commerciales.
L’impunité de l’Algérie face à une Union européenne divisée
L’UE se trouve désormais confrontée à une situation complexe, où ses préoccupations géopolitiques et énergétiques semblent primer sur la défense des droits humains. Alors que le Parlement européen appelle à des sanctions contre l’Algérie pour ses violations des droits fondamentaux, la Commission européenne privilégie ses intérêts économiques. Cette division interne rend difficile pour l’Union de formuler une réponse cohérente et unifiée face à un régime algérien de plus en plus audacieux dans ses violations des libertés.
Le silence de la Commission européenne, conjugué à la fermeté du Parlement, illustre bien la tension qui existe aujourd’hui au sein de l’Union européenne entre, d’une part, les impératifs liés à la défense des valeurs démocratiques et des droits humains et, d’autre part, les considérations géopolitiques et énergétiques qui poussent à maintenir des relations étroites avec des régimes autoritaires comme celui de l’Algérie.
Une Union européenne en quête d’unité
Face à la montée des tensions entre les intérêts économiques et les droits fondamentaux, l’Union européenne se trouve dans une impasse. La situation de Boualem Sansal, comme d’autres violations des droits humains en Algérie, expose les contradictions profondes de l’UE dans sa gestion de ses relations avec l’Algérie. Cette crise souligne l’importance de trouver un équilibre entre principes humanitaires et pragmatisme géopolitique, mais aussi la nécessité d’une approche plus cohérente et déterminée pour défendre les valeurs européennes.